Sur la photo, c'est bien la plage de l'histoire, mais pas le même jour.
La préface de Boomerang: Kaléidoscope
Ne vous inquiétez pas, ceci n’est qu’une histoire !
Un petit attroupement s’est formé sur la grève de Pourina autour d’un objet fort banal abandonné parmi les lambeaux d’algues, les coraux morts et quelques coquilles roulées.
Une série de rouleaux assourdissants, fracassant le talon de la plage, a maintenu le silence du groupe quelques dizaines de secondes, aussi, chacun a contemplé la «chose» sans être influencé par la parole des autres.
Voici leurs pensées… qu’ils ont eues en même temps bien sûr, mais que pour une question de confort de lecture évidente, je retranscris les unes après les autres.
Shantou, la frileuse : Tiens, voilà un joli morceau de bois pour mon feu du soir, il commence à faire frais la nuit.
Raoul, le randonneur : Ha, un bâton de marche qui tombe à point nommé, pour soulager ma cheville enflée.
Zochami, le pêcheur : Ma foi, cette forte gaule emmancherait à merveille mon nouveau fer de harpon à carangues.
Un termite, passant par là : Quel casse-croûte au parfum délectable!
Bernard, le botaniste : On dirait bien un jeune tronc d’arbrus rarissimus ; je dois absolument le rapporter au labo!
Jasmine, la petite : Hii ! Il ressemble au gros serpent noir qui m’a fait si peur l’autre jour!
Damien : Justement je cherchais un petit montant de porte pour ma cabane à ignames.
Hubert, le gamin : C’est pas vrai! c’est MON épée, je l’ai perdue ce matin en jouant…
Axel, l’autre gosse : C’est pas vrai! c’est MON épée, je l’ai perdue ce matin en jouant…
Hilarion, le vieux kanak : touchez pas à ça vous autres… je reconnais malgré l’usure une ancienne flèche faîtière de mon clan roulée par la mer pendant des années.
Agripine, la grand mère : C’est un peu trop gros pour astiquer ces saletés de gosses mais au moins ça leur ferait peur…
Au fur et à mesure du passage sur la plage de nouveaux curieux, l’objet devint en vrai un abri pour un minuscule crabe et trois puces de mer, et en imagination une tringle à rideau, une nouvelle flèche faîtière, le symbole de l’élan de la Nature vers la rectitude et la droiture, un élément de barbecue ou son combustible, un siège de balançoire, une sculpture abstraite, un sous-marin pour-jouer-tous-les-deux-avec, la preuve que la Nature est dévastée par des inconscients, etc.
Mais par un étrange effet du hasard, à chaque fois que l’un des passants se penchait pour ramasser la «chose», il se cognait la tête à celle d’une autre personne tentant la même manœuvre. Les deux repartaient, chacun de son côté un peu étourdi sans bien comprendre ce qui avait pu lui arriver… Aussi, en fin d’après-midi la marée haute reprit l’épave que plus personne ne revit.
Mais revenons à l’attroupement du début : à première vue, ils regardent tous la même «chose». C’est en observant les pensées que l’on s’aperçoit que chacun a une vision différente, comme s’il observait au-travers des lunettes de sa culture, de ses motivations personnelles.
Les termites, les crabes et les humains, enfants ou adultes, n’ont pas la même taille et donc pas la même position par rapport à l’objet. Leurs yeux n’ont pas les mêmes capacités et produisent des images totalement différentes. De même l’utilisation que veut faire le termite de la «chose» est tout à fait différente de celles auxquelles peuvent penser le crabe ou un humain.
De surcroît, au sein de la même espèce, on s’aperçoit que ce qui fait peur à quelqu’un, peut attiser la convoitise de son papa. Et au sein d’une même tradition, les visions de montant de porte, manche de sagaie ou flèche faîtière, sont bien différentes aussi.
Bien des disputes ou conflits humains viennent de ce désaccord non pas sur les choses mais sur la façon de voir les choses :
— Tcha! il est super comme hampe de harpon! Et puis d’abord! je l’ai vu le premier!
— Ça va pas ! Si c’est un arbrus rarissimus il faut absolument l’amener au labo !
— Arrêtez de crier comme ça! Il me fait peur le machin tout noir!
— Nananère… elle a la trouille! Et pis c’est pas un machin noir, c’est mon épée!
— Non ! Menteur ! C’est MON épée!!!
— Y’a pas de labo qui tienne! la flèche sacrée de mes ancêtres!!! Y manquerait plus que ça!
— Je suis blessé moi! J’ai besoin de ce bâton de marche!!! pour ma cheville…
— Bon pour mettre tout le monde d’accord! Je le prends pour mon feu, comme ça il n’y aura plus de problème!
— Tous les autres en chœur : NON ! Mais ça va pas!!!
Et tous les conflits persistent grâce à une imperméabilité, un refus de recevoir la réalité de l’autre, chacun étant bien plus préoccupé à étayer sa propre théorie qu’à faire un pas vers les «élucubrations» des autres.
— Je te dis que c’est un bois de harpon ! C’est bien la mer qui l’a donné, alors c’est sûr que c’est pour attraper des poissons.
— Menteur ! Je reconnais ce bois qui fait les flèches surplombant les cases de ma famille depuis le temps des vieux.
— Vous êtes des bandits! Vous n’avez pas le droit de priver la science!
— Vous êtes malades! Vous voyez bien que je suis blessé!
— Vous êtes fous de vous disputer pour un vulgaire bois de chauffage!
— C’est toi qu’est folle! C’est mon épée!
Bien entendu, ceux qui sont imperméables à la réalité de l’autre les accusent de bizarrerie, folie, méchanceté, maladie, mensonge… A court d’arguments, on en vient aux insultes…
— Ignare! Touche pas à ça ou je t’en colle une!
— Ce vieux fou qui me traite d’ignare! C’est la meilleure!
— Si! Je vais le toucher! Et pour te le flanquer sur la tronche! Abruti!
— Hiiiiiiiiiiiiiiii!!! Hiiiiiiiiiiiiiiiiiii!!!
Les disputes entre parents et enfants, entre frères et sœurs, les scènes de ménage, les conflits sociaux ou les guerres fonctionnent tous sur le même principe qui consiste à rendre l’autre méchant, malade ou fou, au lieu de s’ouvrir à sa culture, à sa façon de voir les choses.
Certaines personnes se disputent sans arrêt, avec tout le monde ou la même personne tout au long de leur existence. A une autre échelle, certaines nations de notre Monde sont perpétuellement en guerre contre de nouveaux ennemis ou contre les mêmes depuis toujours.
A côté de ceux-là nous pouvons croiser des personnes au sourire éternel, qui coulent des jours paisibles, des pays tranquilles où il fait bon vivre.
Il y a donc un truc, un art du compromis, une façon de communiquer, quelque chose de profond à comprendre permettant de se situer plus souvent dans la diplomatie que dans l’affrontement, plus souvent dans la curiosité vis-à-vis de l’autre que dans la crispation, l’enfermement dans sa propre vision… plus souvent dans la construction que dans la dispute.
Je vous laisse découvrir le récit des aventures de Léon et Valina, tout de suite, c’est promis ! Son but premier est de vous divertir. Mais si vous êtes astucieux, vous découvrirez que les chamailleries des autres et leurs façons d’y mettre un terme sont très instructives… même si votre petite amie ne porte pas de dent de cochon spiralée dans le lobe des oreilles…
…ou votre copain, d’hameçon de nacre dans le nez.
Je ne conseille à aucun enfant de quitter sa famille parce que l’on veut faire de lui un héros : cela ferait beaucoup trop d’orphelins… et ce n’est pas par cruauté que j’ai arraché Léon à son Île natale, mais pour montrer que malgré le rejet unanime de tout son peuple, il part quand même avec sa culture.
Il va découvrir sa propre imprégnation culturelle en rencontrant Valina qui ne parle même pas la même langue que lui, par comparaison. Puis découvrir que même quand on parle la même langue les mots ne disent pas forcément la même chose pour tous ceux qui les emploient ; puis…
…excusez-moi ; ce que j’écris est très intéressant mais je vous ai promis de vous laisser lire votre bouquin « tout de suite » il y a bien des lignes déjà et si je continue à bavarder vous risquez de trouver que j’exagère à juste raison.
Merci de la visite et bonne lecture.